On est bien peu de chose ; et il ne faut guère plus que quelques
notes de guitare et la voix de Brassens pour me le rappeler. Depuis plus
de deux ans, il ne se passe plus un jour sans que j’écoute l’une de ses
chansons, je ne pouvais donc pas faire mine d’ignorer le film que la télévision publique vient de lui consacrer. Assez vite, je suis agacé
par les choix de mise en scène, démago et limite douteux : une voix off
qui tutoie ce bon vieux Georges sert de fil conducteur à un scénario qui
voit d’abord en lui « le copain » (j’ai toujours eu du mal avec Les
Copains d’Abord), des entretiens qui se succèdent où, entre quelques
témoignages bien sentis, des personnes à la légitimité douteuse (Audrey
Pulvar, WTF ?) débitent des platitudes, et enfin cette succession de
reprises parfois très embarrassantes de ses chansons, autant puisées
dans les archives télévisuelles que sur Youtube.
Vient le moment
où est évoqué son engagement anarchiste. C’était à prévoir, les
réalisateurs n’y comprennent pas grand chose, et en limitent la portée
au « refus de l’autorité ». Pourtant, s’ils avaient pris la peine de
lire Brassens Libertaire aux éditions Aden, ils y auraient trouvé
l’ensemble de ses articles publiés par le journal anarchiste « Le
Libertaire », où le sympathique troubadour s’y montrait moins consensuel
et doux que le portrait bisounours qu’en fait France 3 : il y applaudit
la mort des gendarmes, appelle ses lecteurs à la révolte dans des
termes qui épouvanteraient la CGT d’aujourd’hui (même celle d’alors) et
moque allègrement les clercs, réactionnaires et staliniens. Tout cela
est balayé d’un revers de manche : en fait, il ne faut comprendre
là-dedans que la manifestation d’un esprit bougon mais peu conséquent.
Surtout, il est important de marteler qu’on ne peut pas « le récupérer
». Circulez.
Plus intéressant, le passage sur la misogynie qu’on
lui prête volontiers, l’occasion de rappeler que Quatre-Vingt-Quinze
Pour Cent (« du temps, la femme s’emmerde en baisant ») place le plaisir
féminin au centre du débat, et que lorsque le questionne sur la place
de « la femme » dans son oeuvre, il ne manque pas de répondre qu’il ne
connaît que « des femmes », certaines formidables, d’autres moins.
Evident, mais bon à rappeler (pas mal de prétendus « esprits libres »,
anticonformistes de confort, revendiquent haut et fort la « misogynie de
Brassens » comme celle de ce gros naze de Brel ou encore celle de
Ferré).
Au rythme des scènes qui se suivent, s’égrènent les chansons et l’envie de chanter avec, et je joue à la guitare ce que j’entends, accompagnant presque malgré moi ces chansons qui depuis si longtemps m’accompagnent, et d’autres que je découvre également. Du coup, malgré l’agression auditive, les reprises Youtube me gênent de moins en moins, j’en viens même à kiffer Serge Lama qui chante la Marche Nuptiale accompagné par son auteur. Enfin, il y a ce moment où Maxime Leforestier (!!!) raconte qu’en parlant de Brassens avec son public il s’est aperçu que chacun lui raconte l’avoir découvert par quelqu’un d’autre : ce sont les amis, la famille, les camarades qui transmettent ces chansons comme on se passerait le mot. Et me reviennent alors les souvenirs de ces nuits passées, certaines avec Maxime, d’autres avec Beri, à découvrir de nouvelles envolées du génial moustachu, dont j’avais asséné avec obstination les chansons du disque familial à mes parents et mes soeurs des années durant (un peu moins que les Beatles, un peu plus que Gainsbourg). Les textes sont celui d’un homme qui porte fièrement son individualité, et pourtant c’est entre amis que l’on l’écoute et que l’on le chante.
Je ne sais pas trop ce que je pense du film, en
fait je m’en fous un peu. Je viens de trouver de nouvelles chansons de
Brassens à écouter en boucle, ça évite de se poser trop de questions
superflues.
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