30.5.15

Il y a dix ans, nous leur disions déjà NON


Des étudiants de Sciences-Po, le faciès illuminé de joie tels des Témoins de Jéhovah, m'avaient filé un exemplaire du Traité Constitutionnel (un pavé imbitable), un peu comme des parents donneraient un Guide de Bonnes Manières à leur gosse. Ils avaient accompagné ça d'un discours idiot du genre "tu verras toutes les potentialités inédites qui s'offrent à ta génération, toutes les synergies créatrices et cette envie d'avenir commun, tout cet enthousiasmant projet est là, sous tes yeux, c'est parfois difficile à comprendre mais c'est le résultat d'un immense espoir, l'espoir d'en finir avec la guerre et la pauvreté, de faire front face aux Etats-Unis, de nous réapproprier l'existant" et autres conneries du genre. De sorte qu'après avoir lu dix pages, j'avais compris que leur texte puait le caca.  

Très attaché alors à l'idée de ne pas voter, je n'en avais pas moins mené autour de moi une campagne intensive pour le NON. En fait il n'y avait aucune bonne raison de voter pour. Pas un seul argument ne tenait la route. On voyait les journalistes, les premiers-de-la-classe et les winners s'escrimer à "faire de la pédagogie", la sauce ne prenait pas. C'était absolument pathétique - et jouissif. Je me souviens avoir fêté ce NON contondant comme une grande victoire, ce qui m'avait valu de me faire gueuler dessus par mon père et traiter de lepéniste par ma famille. Quelle belle époque.


Deux ans plus tard, contre le cours de l'Histoire et avec le concours de médias complaisants, un funeste avocat d'affaires s'emparait du pouvoir et faisait voter au Parlement le Traité de Lisbonne (c'est à dire le Traité Constitutionnel avec un nouveau titre). Il fallait la majorité des trois cinquièmes pour qu'un pareil texte constitutionnel soit accepté - donc, il fallait le concours du PS. Croyez-vous que le principal parti d'opposition s'interposa pour défendre le verdict du peuple ? Ce serait mal le connaître ! Se drapant dans une abstention qui leur permettait de jouer les fiers à bras tout en laissant passer le texte, la majorité des parlementaires PS (et la quasi-totalité de l'UMP) se sont assis sur le vote de 2005 et ont ratifié ce traité que la majorité refusait. Croyez-vous que le peuple, lassé de voir ses représentants lui cracher à la gueule, les poursuivit, les molesta et les pendit ? NOOOOOPE ! Les braves français continuèrent de regarder la télé, de réfléchir aux questions philosophiques que leur posait le gouvernement (l'identité nationale, pour ou pour ?) et éventuellement de se battre pour obtenir du patronat, à la marge, quelques concessions cosmétiques.

Désormais, nous vivons dans une dictature des marchés et de leurs organisations subalternes (Union Européenne, Banque Centrale Européenne) qui prétendent PUNIR les pays qui s'écarteraient de leurs dogmes de financement. Autrement dit, leur rôle est de faire en sorte que nos services publics (éducation, santé etc) deviennent déficitaires pour que nous les vendions ensuite au plus offrant afin de "devenir compétitifs" face aux "nouveaux marchés émergents" comme la Chine - dont les habitants, bien que fourbes et mesquins, ne ménagent pas leurs efforts et travaillent 24h sur 24 pour 1 euro de l'heure et avec le sourire, comme chacun sait.


Je lisais récemment un bouquin intitulé Une histoire de la Révolution Française, d'Eric Hazan (soucieux de rattraper mes lacunes sur le sujet). Et il m'a semblé que la situation pré-révolutionnaire était en tous points similaire à celle qu'engendreront inévitablement les politiques en cours : une minorité qui arrange le droit pour pouvoir se gaver aux dépens d'un peuple qui crève la dalle, un pouvoir dont la légitimité est sans cesse contestée par les intellectuels, une oligarchie sourde et autiste. Pour l'heure, notre "modèle social" - forgé à la Libération par ceux qui ont combattu le nazisme, et pas par le MEDEF ni par "les marchés" - nous sauve d'une misère trop généralisée. C'est précisément ce modèle que les abrutis du PS, de l'UMP, du FN, du MEDEF, du cercle Bilderberg etc veulent mettre à bas, sans se rendre compte que s'ils n'ont pas encore été massivement envoyés au goulag, c'est justement parce qu'on ne meurt pas encore de faim quand on est au chômage.

Je ne souhaite bien évidemment pas la mort de Macron, Valls, Sarkozy. Pas plus que je ne souhaite qu'on promène leur tête au bout d'une pique. Non, vraiment pas. Mais je tiens simplement cela pour inévitable.

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