Des
étudiants de Sciences-Po, le faciès illuminé de joie tels des Témoins
de Jéhovah, m'avaient filé un exemplaire du Traité Constitutionnel (un
pavé imbitable), un peu comme des parents donneraient un Guide de Bonnes
Manières à leur gosse. Ils avaient accompagné ça d'un discours idiot du
genre "tu verras toutes les potentialités inédites qui s'offrent à
ta génération, toutes les synergies créatrices et cette envie d'avenir
commun, tout cet enthousiasmant projet est là, sous tes yeux, c'est
parfois difficile à comprendre mais c'est le résultat d'un immense
espoir, l'espoir d'en finir avec la guerre et la pauvreté, de faire
front face aux Etats-Unis, de nous réapproprier l'existant" et autres
conneries du genre. De sorte qu'après avoir lu dix pages, j'avais
compris que leur texte puait le caca.
Très attaché alors à
l'idée de ne pas voter, je n'en avais pas moins mené autour de moi une
campagne intensive pour le NON. En fait il n'y avait aucune bonne raison
de voter pour. Pas un seul argument ne tenait la route. On voyait les journalistes, les premiers-de-la-classe et les winners s'escrimer à "faire de la pédagogie", la sauce ne prenait pas. C'était absolument
pathétique - et jouissif. Je me souviens avoir fêté ce NON contondant
comme une grande victoire, ce qui m'avait valu de me faire gueuler
dessus par mon père et traiter de lepéniste par ma famille. Quelle belle
époque.
Deux ans plus tard, contre le cours de l'Histoire et avec le concours de médias complaisants, un funeste avocat d'affaires s'emparait du pouvoir et faisait voter au Parlement le Traité de Lisbonne (c'est à dire le Traité Constitutionnel avec un nouveau titre). Il fallait la majorité des trois cinquièmes pour qu'un pareil texte constitutionnel soit accepté - donc, il fallait le concours du PS. Croyez-vous que le principal parti d'opposition s'interposa pour défendre le verdict du peuple ? Ce serait mal le connaître ! Se drapant dans une abstention qui leur permettait de jouer les fiers à bras tout en laissant passer le texte, la majorité des parlementaires PS (et la quasi-totalité de l'UMP) se sont assis sur le vote de 2005 et ont ratifié ce traité que la majorité refusait. Croyez-vous que le peuple, lassé de voir ses représentants lui cracher à la gueule, les poursuivit, les molesta et les pendit ? NOOOOOPE ! Les braves français continuèrent de regarder la télé, de réfléchir aux questions philosophiques que leur posait le gouvernement (l'identité nationale, pour ou pour ?) et éventuellement de se battre pour obtenir du patronat, à la marge, quelques concessions cosmétiques.
Désormais, nous vivons dans
une dictature des marchés et de leurs organisations subalternes (Union
Européenne, Banque Centrale Européenne) qui prétendent PUNIR les pays
qui s'écarteraient de leurs dogmes de financement. Autrement dit, leur
rôle est de faire en sorte que nos services publics (éducation, santé
etc) deviennent déficitaires pour que nous les vendions ensuite au plus
offrant afin de "devenir compétitifs" face aux "nouveaux marchés
émergents" comme la Chine - dont les habitants, bien que fourbes et
mesquins, ne ménagent pas leurs efforts et travaillent 24h sur 24 pour 1
euro de l'heure et avec le sourire, comme chacun sait.
Je
lisais récemment un bouquin intitulé Une histoire de la Révolution Française, d'Eric Hazan (soucieux de rattraper mes lacunes sur le
sujet). Et il m'a semblé que la situation pré-révolutionnaire était en
tous points similaire à celle qu'engendreront inévitablement les
politiques en cours : une minorité qui arrange le droit pour pouvoir se
gaver aux dépens d'un peuple qui crève la dalle, un pouvoir dont la
légitimité est sans cesse contestée par les intellectuels, une
oligarchie sourde et autiste. Pour l'heure, notre "modèle social" -
forgé à la Libération par ceux qui ont combattu le nazisme, et pas par
le MEDEF ni par "les marchés" - nous sauve d'une misère trop
généralisée. C'est précisément ce modèle que les abrutis du PS, de
l'UMP, du FN, du MEDEF, du cercle Bilderberg etc veulent mettre à bas,
sans se rendre compte que s'ils n'ont pas encore été massivement envoyés
au goulag, c'est justement parce qu'on ne meurt pas encore de faim
quand on est au chômage.
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